« Ça dépend, tu veux mon poing dans ta gueule, ou tu veux me payer ce que tu me dois ? »

L'observateur le moins averti pourrait confondre la disposition naturelle de Nera pour se retrouver au cœur de l'action comme un besoin de se sentir utile ou une incapacité complète et totale à fermer sa gueule et il n'aurait pas complètement tord.
Elle n'aime pas rester les bras croisés à attendre que les situations se résolvent d'elles-mêmes ; et si les solutions les plus rapides ne sont pas toujours les meilleures, elles ont au moins l’avantage d'être les plus efficaces, de son point de vue.

Il faut que ça bouge, il faut que ça avance, on va quand même pas se laisser faire, là, non ? Nera a la rage au ventre. Nera, c'est le poing levé sur les barricades, la volonté de fer et la remarquable absence de velours. Elle sait que les choses ne sont pas censées être dites brutes de décoffrage et, vraiment, elle y travaille. Mais elle est comme ça, Nera. Elle ne s'embarrasse pas de compromis, surtout quand ses intérêts est en jeu. « Caring is not an advantage », comme dirait l'autre.

Elle n'est pourtant ni froide, ni distante. Au contraire ! Elle sait se montrer très sociable, surtout lorsqu'on parle de manger et de boire. Parler à des étrangers, donner un coup de main à des gamins en galère, ça ne lui fait pas peur non plus. Mais elle a l'habitude d'être seule, de ne pouvoir compter que sur elle-même.

Nera ne fait pas ami-ami, Nera ne s'attache pas. Nera a des collègues, des connaissances, des gens avec qui elle échange des services. Nera n'a plus d'amis, plus de famille, et elle ne s'en plaint pas.
Elle serre les dents et elle marche droit devant. Elle ne sait pas où elle va, mais elle sait comment y arriver. Et si un jour elle croise le ou la responsable de tout ce merdier… Sortez le Wagner et tout le bordel, parce que ça va saigner.

« J'devrais p'tête me doucher. Ça doit faire une semaine, là. »

Une paire de rangers, un pantalon multi-poches, un débardeur franchement crade et un blouson en cuir bien élimé.
La démarche droite, directe, déterminée. Une carrure masculine, des traits marqués, une peau brunie par la vie à l'extérieur.
Quelques traces de cambouis, un ongle cassé. Des cicatrices, un peu partout – des petites, et des plus grosses ; une trace de brûlure sur le poignet, une longue traînée blanchâtre au creux des hanches.
Une coupe de cheveux inexistante, mèches blondes qui font un peu ce qu'elles veulent tant qu'elles ne font pas chier.
Deux yeux vifs, iris gris et moqueurs qui brillent sous d'épais sourcils et éclairent ce visage à l'air souvent narquois.

Telle est Nera, au premier abord. Elle n'est ni belle, ni féminine et encore moins bien proportionnée. Elle n'a pas de grain de peau parfait, de manucure divine et de longue chevelure dorée. Au contraire, elle a tout le reste : une structure osseuse en parfait état, recouverte d'une musculature qu'elle cherche à développer, une dentition dans un état plus que correct au vu de son sens de l'hygiène, des jambes capables de marcher plusieurs dizaines de kilomètres en une journée et des bras qui peuvent porter son propre poids.

« A quoi ça sert de te raconter ça ? Ils sont tous morts, de toute façon. »

Nera est une Lucky – une humaine originaire de la terre avant que celle-ci ne devienne le terrain de jeu des armées divines. Elle y vivait une vie relativement paisible, fille unique d'immigrés italiens aux États-Unis. Elle a eu une enfance et une adolescence sans histoire, si on oublie les échauffourées avec les gamins du quartier, les heures de colle parce qu'elle refusait de porter l'uniforme ou la fois où elle a mit le feu au local à poubelles du voisin « parce qu'il l'avait insulté ».

Elle s'est légèrement calmée en entament les études supérieures, où elle a, à la surprise de tout le monde, entamé des études de mathématiques. Elle avait envie de devenir prof, juste pour embêter son monde et bourrer un peu le crâne de la sale marmaille. Elle attaquait sa troisième année d'enseignement quand « tout a basculé ».

Mathématiques, enseignement, boulot, sortir le samedi soir et engueuler ses élèves quand elle les croisait au bar… Ça ne veut plus rien dire, tout ça, maintenant… Maintenant qu'elle a vu son monde détruit dans un déluge de sang et de flammes, que tous ses proches, ses élèves, ses collègues, ses amis, ses ennemis et tous ceux qu'elle connaissait sont tous morts. « Lucky », vraiment ? Comment est-ce qu'ils peuvent les appeler comme ça, les autres ? Les monstres, là. Ils sont pas chanceux, les humains. Déjà, parce qu'ils ont vraiment un devoir de survie de l'espèce – et qu'il va pas falloir compter sur elle pour ça – mais parce qu'ils doivent vivre avec ça. Avec le stress post-traumatique, les cauchemars, le complexe du survivant, en plus de devoir s'adapter dans un monde qui, soyons sérieux, ne veut pas d'eux. Servir d'animal de compagnie ? Vous vous foutez de moi ?

Une fois le premier choc passé, Nera a réagi comme à chaque fois qu'elle s'est retrouvée dans une situation délicate – elle s'est énervée. OK, donc, on ne sait pas qui a causé tout ça. Très bien. Et on se chamaille en se rejetant le blâme des uns aux autres, là, tous monstres que vous êtes. Pire que des gamins à la récré.

Mais ça ne sert à rien de s'énerver contre les gars du coin – non, ce qu'il lui faut, c'est le sale type derrière tout ça. Le mec dans son grand manteau noir, comme dans les films de série B. Nera est bien décidée à s'entraîner, à maîtriser les pouvoirs que visiblement elle aurait, peut-être à se trouver deux ou trois autres humains aussi remontés qu'elle, à trouver le coupable, et à lui foutre sa raclée.